Interview de Jean Asselborn avec le Luxemburger Wort

Jean Asselborn: "Oman tient sa crédibilité de son autonomie et de sa modération."

Interview : Luxemburger Wort (Gaston Carré)

Luxemburger Wort : Le sultanat d'Oman, pays plutôt discret, pèse-t-il d'un poids réel face à ses voisins en conflit au Yémen? 

Jean Asselborn : Oman tient sa crédibilité de son autonomie et de sa modération. Et possède, oui, un poids réel face aux problématiques régionales. On sait peu, par exemple, l'importance de la médiation omanaise dans la crise du nucléaire iranien, en 2014. Quant à son indépendance, elle est attestée par le fait que le sultanat ne fait pas partie de la coalition menée par l'Arabie saoudite pour contrer les Houthis au Yémen. 

Luxemburger Wort : Un sultanat qui dès lors a été accusé de quelque complaisance à l'égard de l'iran... 

Jean Asselborn : Les Omanais disent ceci: au Yémen comme en Irak ou en Syrie, il n'y a pas de solutions sans une contribution de l'Iran. Et qu'au Yémen une sortie de crise ne peut être envisagée ni au détriment de l'Iran ni au détriment de l'Arabie saoudite. Complaisance? Je ne pense pas. Mascate prend simplement acte du fait que les Houthis ont été attaqués, que les Houthis ont demandé de l'aide et que Téhéran leur apporte cette aide. 

Luxemburger Wort : Le sultanat formule-t-il des propositions concrètes? 

Jean Asselborn : Oui: Mascate propose un dialogue entre l'Iran et le Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Qatar et Oman), qui serait fondé sur trois exigences principales: que l'Iran ne tente pas d' "exporter" sa révolution [islamique], qu'il prenne en considération les aspirations des populations chiites extra-muros et qu'il respecte le droit international en matière d'intégrité territoriale. Mais Riyad ne donne pas son aval à cette proposition. Je rappelle d'ailleurs que toutes les propositions pour le Yémen ont jusqu'à présent échoué. 

Luxemburger Wort : Comment ces échecs se traduisent-ils? Quelle est la situation sur le plan humanitaire? 

Jean Asselborn : Catastrophique. Sur une population de 27 millions de Yéménites, 21 millions ont besoin d'assistance. Sept millions sont menacés de famine. Deux millions d'enfants souffrent de malnutrition. 

Luxemburger Wort : Quel est le bilan humain des opérations militaires? 

Jean Asselborn : Les bombardements de la coalition menée par Riyad sont aveugles. La guerre, au Yémen, est une guerre atroce, barbare, qui a coûté la vie à 8.000 personnes déjà. 

Luxemburger Wort : Quels sont les données les plus critiques du conflit? Ses points de majeure préoccupation? 

Jean Asselborn : Tout d'abord le blocus de l'aide humanitaire par la coalition. Un sujet particulier de préoccupation est le port d'Al-Hudaydah sur la mer Rouge. Des vivres, des médicaments, des produits de première nécessité arrivent encore au Yémen par cette voie-là. Mais le port est sous le contrôle des Houthis, de sorte qu'un grand motif de crainte est la perspective d'un bombardement d'Al-Hudaydah par la coalition menée par l'Arabie saoudite. On assisterait alors à une catastrophe de grande ampleur. 

Luxemburger Wort : Quelle issue, selon vous? 

Jean Asselborn : Il faut, d'abord, l'instauration d'un dialogue inter-yéménite. De toute urgence. Aussi longtemps que le pays restera le théâtre d'une guerre civile, que le Nord sera en lutte avec le Sud et que les Houthis poursuivront leur combat l'Arabie saoudite bombardera ceux-ci et l'Iran s'emploiera à les assister. Un dialogue donc, pour une solution négociée. Sous forme de confédération par exemple. 
Il y a urgence, et d'autant plus que Daech met à profit le chaos pour s'implanter dans le pays. 

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