Interview de Jean Asselborn avec le Figaro

"Il faut mettre de l'ordre dans le chaos actuel (...)"

Interview: Le FIGARO

Le FIGARO: Les ministres de l'intérieur pourront-ils s'entendre aujourd'hui sur l'objectif affiché, à savoir 160.000 réfugiés à répartir d'ici à deux ans dans I'UE ?

Jean Asselborn: Je garde un peu d'espoir. Nous avons l'obligation morale de protéger les réfugiés et le droit international ne nous laisse pas le choix, qu'il s'agisse de la convention de Genève ou de la Charte des droits fondamentaux de I'UE. Mais nous devons aussi être concrets et efficaces. Il n'y a pas de "relocalisation" possible des réfugiés sans que fonctionnent les guichets d'entrée dans I'UE ( "hotspots") en Italie, et surtout en Grèce. Il faut mettre de l'ordre dans le chaos actuel, et la décision de l'Allemagne de rétablir temporairement des contrôles à sa frontière avec l'Autriche montre bien l'urgence. Nous voulons savoir qui sont ces gens, d'où ils viennent et s'ils répondent aux conditions de l'asile. Si nous Européens avons des obligations, les réfugiés en ont aussi. Les arrivants doivent d'abord se faire enregistrer à leur point d'arrivée. Ensuite, ils ne peuvent pas choisir. Une fois assignés à l'un des pays d'accueil, ils devront l'accepter. Si une famille est dirigée vers un État balte, on ne peut pas la laisser prendre ensuite le premier train vers l'Allemagne ou la Suède. Les règles doivent être respectées.

Le FIGARO: L'objectif fixé la semaine dernière est-il déjà revu à la baisse ?

Jean Asselborn: Ce n'est pas qu'une affaire de chiffres. Ce (lundi) soir, nous aurons sans doute une décision finale sur la répartition des 40.000 réfugiés annoncée en juin. Les "relocalisations" à l'échelle de I'UE peuvent donc démarrer tout de suite, le 15 septembre. En ce qui concerne les 120.000, nous travaillons à un premier accord politique. La Hongrie s'est mise hors jeu, l'Espagne et la Pologne vont connaître des élections générales et restent réticentes. On ne peut pas forcer un pays contre son gré. J'espère qu'on trouvera une solution à l'automne.

Le FIGARO: Le premier ministre Viktor Orban refuse toute clef de répartition obligatoire, alors que ces "quotas" permettraient de soulager la Hongrie de 54 000 réfugiés. Faut-il renoncer ? L'isoler ? Le punir ?

Jean Asselborn: La Hongrie est un vrai problème, son attitude est difficile à comprendre. En tout cas, nous n'allons pas tout remettre en cause parce que Viktor Orban s'y oppose. C'est aussi une question de solidarifé européenne. Les "vieux" pays de I'UE en ont fait beaucoup pour les "nouveaux", de la chute de I'URSS jusqu'à l'Ukraine. S'il n'y a pas réciprocité le moment venu, il peut y avoir des conséquences...

Le FIGARO: En Europe centrale, il n'est pas le seul...

Jean Asselborn: Les Polonais et les Tchèques viennent de bouger, je l'ai constaté vendredi à Prague. Les Slovaques restent difficiles. Ils ont peur pour leur culture et leurs traditions. J'espère que ce n'est pas une question de couleur de peau. Qui croira qu'un pays de 5,5 millions d'habitants verrait son identité menacée par l'arrivée de 1500 réfugiés ? 

Le FIGARO: Un sommet européen peut-il recoller les morceaux ?

Jean Asselborn: Il faut d'abord un travail en profondeur. Nous avons déjà eu un "sommet" migration en juin, et il a fait bien plus de dégâts que d'avancées.

Le FIGARO: La route des Balkans mène jusqu'en Allemagne, mais elle part de Grèce. Comment remédier à l'effondrement des contrôles en mer Égée ?

Jean Asselborn: Les "hotspots" de PUE fonctionnent à peu près en Italie, mais toujours pas en Grèce. C'est là que l'Europe doit mettre le paquet, même si c'est difficile du fait de l'éparpillement des îles et de l'instabilité. Sur la route des Balkans, la Serbie et la Macédoine ont besoin d'un coup de main. Enfin, il faut aider le Liban, la Jordanie et la Turquie. Beaucoup des 4 millions de Syriens qui s'y trouvent voudraient rester près de chez eux. S'ils prennent le chemin de l'Europe, c'est que le commissariat aux Réfugiés de l'ONU n'a plus de ressources pour faire face. Sans argent, l'action de I'UE ne mènera nulle part.

Le FIGARO: La Commission Juncker veut dresser une liste de pays "sûrs", dont les ressortissants ne pourraient plus demander l'asile. Où en est-on ?

Jean Asselborn:  Il est logique que la liste inclut les pays des Balkans. Ils aspirent à entrer dans I'UE, fonctionnent comme des démocraties et respectent les minorités. Pour la Turquie, je suis moins sûr compte tenu des derniers développements. Schengen, c'est un peu comme l'euro: tout va bien par beau temps, mais dès qu'un pays ne respecte plus la règle du jeu, on est en pleine tempête.

Le FIGARO: Faut-il revoir la libre circulation ?

Jean Asselborn: C'est toute l'Europe qui serait alors perdante ! Les contrôles aux frontières internes sont permis, dans des circonstances exceptionnelles. Avant l'Allemagne, la France comme le Danemark en ont usé, dès 2011. Ensuite, la mission d'un homme politique n'est pas d'entretenir la peur. Il ne faut pas sacrifier un acquis essentiel à des difficultés provisoires.

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