Interview de Jean Asselborn avec Le monde

"L'Europe doit montrer sa grandeur, son humanité, sa solidarité"

Interview: Le monde (Jean-Pierre Stroobants)

Le monde: Qu’attendez-vous de cette réunion, après les propositions de la Commission européenne visant, notamment, à répartir entre les Etats environ 120 000 réfugiés?

Jean Asselborn: La présidence luxembourgeoise a convoqué ce conseil avec la volonté de démontrer qu’une réponse commune à l’énorme défi de la migration est possible. Nous ne réglerons pas tout en un jour mais il faut trancher une question fondamentale: comment l’Europe va-t-elle traiter tous ces êtres humains?

Nous avons vu des images terribles, celles de ce camion transportant des migrants asphyxiés en Autriche et celles du petit Aylan sur une plage turque. Par ailleurs, nous assistons aussi à un énorme élan de générosité, en Allemagne, en Autriche et ailleurs. Un profond clivage existe entre les réactions de l’opinion et la résistance de certains responsables politiques. Ce basculement peut avoir son importance.

Il faut bien comprendre que la crise va durer peut-être dix ans, et que les solutions prendront donc beaucoup de temps. Ne remettons pas en cause la solidarité entre nous, faute de quoi nous offrirons des arguments aux partisans de la désunion européenne.

Le monde: De fait, l’Europe a rarement été aussi divisée : les pays du centre et de l’est de l’Union répètent leurs refus de toute mesure contraignante pour l’accueil de réfugiés…

Jean Asselborn: Je ne ferme pas les yeux sur cela. Je n’ignore pas non plus que des tendances très droitières compliquent la vie de certaines coalitions. Mais l’Europe doit montrer sa grandeur, son humanité, sa solidarité et abandonner ce double langage qui lui est parfois reproché. Certains ne veulent accepter sur leur sol que des Blancs, catholiques et en bonne santé ? Ils vont désormais devoir défendre ce point de vue devant l’opinion, et ce ne sera pas évident.

A tous, je veux rappeler que l’UE a fait preuve d’une solidarité infaillible et admirable quand il s’est agi, après la chute du Mur [de Berlin], de s’ouvrir à de nouveaux arrivants. Ou lorsqu’il s’est agi d’accueillir des populations de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Nous avons aussi assuré, sans davantage de failles, les transferts d’argent des plus riches vers les plus pauvres, à l’aide des fonds structurels. Et nous sommes aujourd’hui solidaires pour imposer des sanctions à la Russie et aider nos amis de l’Est, en assurant par exemple une présence militaire dissuasive sur leur territoire.

Le monde: Vous avez dit qu’il fallait "avoir honte" de la politique menée par le premier ministre hongrois, Viktor Orban: vous confirmez?

Jean Asselborn: Oh, je ne me place pas en référence morale, mais ne jouons pas avec le feu en remettant en cause les valeurs humaines, surtout quand nous avons affaire à des gens qui ont subi les pires atrocités.

Le monde: Comment jugez-vous le travail de la Commission?

Jean Asselborn: Je crois que ses propositions sont réfléchies et peuvent, dans les grandes lignes, être suivies. Certains points seront toutefois très débattus, comme cette idée de faire payer les Etats qui invoqueraient un prétendu manque de tradition d’accueil ou une situation exceptionnelle pour refuser des réfugiés. Rappelons que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne oblige, en son article 18, les Etats à accueillir des personnes protégées par la convention de Genève.

Et, parallèlement, il faut développer une politique de retour, tout en sachant que la moitié de ceux qui arrivent en Europe sont Syriens, Afghans ou Erythréens et qu'il serait donc difficile de les renvoyer dans leur pays…

Il convient également de faire en sorte que les "hot spots" [des centres de contrôle et d’enregistrement en Grèce, en Italie et en Hongrie] fonctionnent et enregistrent, rapidement et dignement, les demandes d’asile. Nous devons enfin trouver de nouvelles voies de collaboration avec les pays d’origine et de transit.

Le monde: Certains, au Parlement européen notamment, s’étonnent qu’un sommet exceptionnel sur la migration n’ait pas encore été convoqué…

Jean Asselborn: L’expérience du dernier sommet européen sur cette question devrait les faire réfléchir. Une deuxième réunion des ministres des affaires intérieures précédera le sommet de la mi-octobre et pourra prendra des décisions importantes. A la majorité qualifiée, et non à l’unanimité, comme doit le faire un sommet…

Le monde: Les développements de la crise ont fait resurgir l’hypothèse de bombardements occidentaux en Syrie. Quelle est votre position?

Jean Asselborn: J’en ai parlé, mardi, avec le président Hollande, qui évoque la nécessité de combattre le phénomène à la racine. On ne résoudra pas tout par les armes, et il convient de privilégier la prudence, mais il faut aussi faire reculer l’Etat islamique et détruire l’arsenal qui lui permet de poursuivre ses atrocités.


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