Jean Asselborn au sujet de la situation sur la Crimée

"La Russie a besoin de nous. Nous avons besoin de la Russie"

"Je crois que ce serait fatal pour toute la planète si vraiment la seule réponse devrait être une confrontation militaire. Et si on dit que la confrontation militaire n'est pas une option, alors il faut accepter que de facto il y a eu un changement de statut en ce qui concerne la Crimée. L'Union européenne, je pense ni la Suisse, ni la Norvège, ni d'autres pays européens, ni les Etats-Unis ou le Japon ou d'autres ne vont reconnaître la Crimée comme étant annexée ou ayant été annexé par la Russie."

Radio Suisse Romande: Vous êtes ministre des Affaires étrangères du Luxembourg Jean Asselborn, vous présidez aussi en ce moment le Conseil de sécurité de l'ONU. Jean Asselborn ça veut dire que Moscou ne s'inquiète pas beaucoup des menaces européennes. Vous admettez que ça n'a peut-être pas porté autant qu'il le faudrait?

Jean Asselborn: Ecoutez, je ne suis pas du tout de votre avis. D'abord au Conseil de sécurité, que vous avez mentionné, la Russie est totalement isolée. Même la Chine s'est abstenue. Au niveau de l'Union européenne nous avons fait ce que nous avions prédit, c'est-à-dire réagir par des mesures ciblées, temporaires, contre des responsables russes et des responsables de la Crimée qui ont organisé ce “referendum” qui est totalement illégal sur base du droit international.

Radio Suisse Romande: On peut voir ces mesures comme des premières mesures. Il en faudra d'autres si Moscou ne cède pas ?

Jean Asselborn: Je ne l’espère pas. Je crois que vraiment la Russie – j'ai parlé du Conseil de sécurité, mais je pourrais parler aussi des partenaires directs de la Russie, comme l'Arménie, comme la Kazakhstan, comme l’Abkhazie qui se sont vraiment carrément désolidarisés avec la manière de procéder de la Russie. Vous savez que le rouble a perdu une vingtaine de pourcents dans les dernières semaines. L'économie russe: vous allez voir que quand un pays fait peur – et la Russie fait peur pour l'instant – les investissements vont être bloqués. Donc là je pense qu’avec tout cela, les marchés aussi vont faire réfléchir la Russie.

Mais vous savez que nous partageons un continent avec la Russie, en tant que Union européenne. Vous d'ailleurs aussi la Suisse. Donc il faut vraiment laisser une porte ouverte pour que si vraiment cela se stabilise on puisse reprendre sur une base qui quand même respecte le droit international et qui respecte les intérêts mutuels. La Russie a besoin de nous. Nous avons besoin de la Russie. On ne peut pas claquer la porte à ce moment ci. Ce n'est pas prévu. On n'a pas parlé de sanctions économiques après le “referendum” et j'espère que vraiment...  bon, de facto il y a une nouvelle situation, un nouveau statut pour la Crimée qui a été constitué, qui a été constitué depuis hier. Mais je pense aussi que toutes les réactions au niveau international vont faire réfléchir la Russie.

Radio Suisse Romande: Jean Asselborn, jusqu'où est-ce que l'Union européenne peut monter en puissance dans ses sanctions? Là il y a des sanctions personnalisées. Quel est le maximum de sanctions que puisse adopter l'Union européenne ?

Jean Asselborn: Pour l'instant, pour l'instant je pense qu'on a fait ce qu'on avait dit. Donc moi je ne veux pas me mettre dans une situation où il faut accélérer et augmenter les sanctions.

Radio Suisse Romande: Et l'arsenal, le maximum de l'arsenal c'est quoi ? Des sanctions économiques ? Un blocus? Quoi ?

Jean Asselborn: On est en matière de droit international et de relations internationales. Donnez-moi un exemple où rien que par des sanctions on est arrivé à notre but; le but étant d'arriver à renouer un dialogue normal entre l'Union européenne et la Russie. Et c'est aussi de l'Ukraine qu'il s'agit. Donc je pense que nous devons encourager l'Ukraine à avoir des élections maintenant présidentielles, à avoir des élections parlementaires, à lutter contre la corruption, à voir à ce que la police ait le monopole de la sécurité en Ukraine. Donc il faut stabiliser ce pays. Il faut l'aider financièrement et il y a une première lueur d'espoir par cette mission de l'OSCE où la Russie est d'accord pour déployer entre 700 et 1000 personnes en Ukraine pour être là, présents comme observateurs. 

Radio Suisse Romande: Jean Asselborn vous venez de le dire vous même: citez-moi un exemple où les sanctions ça fonctionne? Est-ce qu'on n'est pas dans une époque où à nouveau en quelque sorte c'est la force au terrain qui change les frontières, qui gagne ou qui fait perdre? Est-ce qu'il faudrait, est-ce qu'on n'arrive plus finalement à imaginer une vraie confrontation armée ou du moins de résister à certaines avancées par cet ordre là ? On est passé dans une autre époque aujourd'hui, on n'arrive même plus à l'imaginer ?

Jean Asselborn: Ecoutez, vous êtes citoyen d'un pays très paisible...

Radio Suisse Romande: ...ou qui n'a plus connu les guerres depuis très longtemps, effectivement.

Jean Asselborn: voilà et je crois que ce serait fatal pour toute la planète si vraiment la seule réponse devrait être, devrait être je dis, une confrontation militaire. Et si on dit que la confrontation militaire n'est pas une option, alors il faut accepter que de facto il y a eu un changement de statut en ce qui concerne la Crimée. L'Union européenne, je pense ni la Suisse, ni la Norvège, ni d'autres pays européens, ni les Etats-Unis ou le Japon ou d'autres ne vont reconnaître la Crimée comme étant annexée ou ayant été annexé par la Russie. Il faudrait peut-être une décennie pour renégocier le statut de la Crimée avec la Russie. Mais c'est un fait qui s'est produit maintenant et je pense que ce fait est inacceptable, va nuire à la réputation et à la crédibilité de la Russie, ça c'est clair, mais en même temps, bon, vous savez, le volume économique entre la Russie et l'Union européenne est 10 fois supérieur au volume entre les Etats-Unis et la Russie. Donc nous vivons avec la Russie. La Russie elle vit avec nous et je pense que ça fera réfléchir les Russes à revenir sur terre.

Radio Suisse Romande: Jean Asselborn, tout de même des pays comme l'Allemagne sont très sceptiques quant à l'éventualité de sanctions économiques et commerciales. Donc l'Union européenne elle non plus n'a pas qu'un visage dans cette crise.

Jean Asselborn: Je ne pense pas – que ce soit l'Allemagne, que ce soit un autre pays de l'Union européenne – qu’il faut maintenant à tout prix imposer des sanctions économiques. Des sanctions économiques, et là il faut être réaliste aussi, contre la Russie, en fait ce seraient aussi des sanctions économiques contre nous-même. C'est un fait. Bon évidemment les Russes le savent, Monsieur Poutine le sait. Certaines dépendances, par exemple au niveau de l'énergie, existent. C'est clair .

Radio Suisse Romande: Donc on a peur en Europe. L'Europe a peur.

Jean Asselborn: Non l'Europe n'a pas peur, mais l'Europe va sortir de cette crise disons, intelligement en utilisant toutes les armes dont nous disposons du point de vue diplomatique, sans claquer la porte. On laisse ça ouvert, une négociation avec la Russie pour revenir, comme j'ai dit, au respect du droit international.

Radio Suisse Romande: Merci beaucoup Jean Asselborn, vous êtes ministre des Affaires étrangères du Luxembourg. Merci pour ces quelques minutes en direct dans Forum.

Jean Asselborn: Je vous remercie.

Radio Suisse Romande: Bonne soirée.

Jean Asselborn: Et un grand bonjour si vous voulez à Madame Micheline Calmy-Rey.

Radio Suisse Romande: Mais est-ce qu'elle est déjà avec nous d'ailleurs, Micheline Calmy-Rey, est-ce que vous nous entendez ?

Micheline Calmy-Rey: Oui je vous entends. Je le salue aussi.

Radio Suisse Romande: Deux anciens collègues effectivement. Jean Asselborn, vous pouvez faire quelque chose pour la Suisse ces temps-ci, vous avez vu qu'on a un plan d'été au niveau de la recherche et d'Erasmus.

Jean Asselborn: Je vous remercie et bonne chance aussi et courage à Micheline Calmy-Rey. Allez au revoir!

Radio Suisse Romande: Merci beaucoup Jean Asselborn.

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