Discours de Jean Asselborn à la 70e session de l’assemblée générale des Nations unies à New York

"Il faut enfin que les actes suivent les paroles"

"Monsieur le président,

Monsieur le secrétaire général,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

"Les Nations Unies n’ont pas été créées pour conduire l’humanité au paradis, mais pour la sauver de l’enfer."

Le secrétaire général Dag Hammarskjöld avait l’art de la formule. Il voyait juste. Il y a 70 ans, l’Organisation des Nations unies naissait des décombres de la Seconde Guerre mondiale, portée par la volonté des peuples de préserver les générations futures du fléau de la guerre.

Aujourd’hui, dans un monde en proie aux conflits armés, à l’extrémisme violent, à la radicalisation et au terrorisme; dans un monde où la guerre, les persécutions et les violations des droits de l’homme forcent des millions de personnes, hommes, femmes et enfants, à quitter leur foyer et à prendre le chemin de l’exode, en quête de sécurité et de dignité, la réalisation de cet objectif semble plus urgent que jamais.

Votre choix, Monsieur le président, de placer ce débat général sous le thème "la voie à suivre pour la paix, la sécurité et les droits de l’homme" est dès lors des plus judicieux.

Nous avons pu le dire à maintes reprises à cette tribune: paix et sécurité - développement - respect des droits de l’homme et de l’État de droit sont intimement liés; l’un ne peut se faire sans l’autre.

Je ne reviendrai plus sur l’adoption historique, vendredi dernier, du programme de développement pour l’après-2015, sur l’importance et la portée de ce programme à vocation universelle, mais permettez-moi de rappeler les paroles de notre secrétaire général Ban Ki-moon, en juin, à San Francisco, je cite: "nous sommes la première génération capable d’éradiquer la pauvreté sur terre et la dernière à pouvoir agir pour éviter les pires conséquences d’un monde en réchauffement".

Ce constat doit nous interpeller à renouveler notre engagement envers un avenir meilleur pour tous; à faire montre de solidarité; à unir nos forces, comme le veut la Charte.

À l’instar de la mobilisation qui nous a permis d’agréer le programme d’action d’Addis-Abeba et le programme de développement durable à l’horizon 2030, il nous faudra tout faire pour aboutir en décembre, lors de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris, à un accord ambitieux et contraignant, qui s’applique à tous les pays, et qui permette de contenir le réchauffement global en deçà de 2°C.

En tant que Présidence du Conseil de l’Union européenne, le Luxembourg n’épargnera aucun effort pour contribuer à ce que la conférence de Paris sur le climat soit un succès.

Nous devons saisir cette occasion historique.

Monsieur le président,

Un autre dossier prioritaire de notre Présidence du Conseil de l’Union européenne, et dans lequel je m’investis complètement, est celui de la migration.

Selon les données du Haut-Commissariat aux Réfugiés, nous comptons 59,5 millions de personnes déplacées, y compris les réfugiés: du jamais vu depuis 1945.

Ce flot continu de migrants, ce "déferlement de misère humaine", pour emprunter les mots du Secrétaire général, nous met face à nos responsabilités; à nos responsabilités en tant que dirigeants politiques, en tant que membres de la communauté internationale, en tant qu’êtres humains.  

En temps de crise, des velléités unilatérales, des réflexes nationalistes voire populistes ont malheureusement tendance à réapparaître. Nous l’avons vu une nouvelle fois, tragiquement, cet été.

Mais aucun pays n’est capable d’affronter seul cette crise sans précédent des migrants et des réfugiés. Le repli sur soi n’est pas la solution.

Ce n’est que tous ensemble, pays d’origine, de transit et d’accueil des migrants, que nous saurons apporter une réponse au défi posé par les mouvements migratoires, dans le bassin méditerranéen, dans les Balkans et ailleurs. Ce n’est qu’en ancrant fermement notre action dans le respect de nos engagements internationaux que nous sauront trouver une solution digne de nos valeurs communes, les valeurs sur lesquelles sont fondées et l’Organisation des Nations unies et l’Union européenne.

Au niveau de l’Union européenne, un premier pas a été fait avec la décision prise la semaine dernière en vue de la relocalisation au sein de l’Union de 120.000 personnes qui ont clairement besoin de protection internationale. D’autres décisions vont suivre sous peu. L’UE va répondre aux besoins urgents des réfugiés en aidant le HCR, le programme alimentaire mondial et d’autres organismes à hauteur d’un milliard d’euros supplémentaires au moins. Nous allons accroître notre aide au Liban, à la Jordanie et à la Turquie pour faire face à la crise des réfugiés syriens. Nous allons aider les pays des Balkans occidentaux à gérer les flux de réfugiés, notamment au moyen des instruments de préadhésion.

On ne pourra toutefois se contenter de gérer la crise, d’en traiter les symptômes; il faudra s’attaquer aussi aux causes profondes des migrations et des flux de réfugiés, aux inégalités de développement, en particulier en Afrique, aux conflits et à la violence, à l’absence d’État de droit, aux persécutions et aux violations des droits de l’homme, à l’impunité.

Ce qui nous ramène au lien entre sécurité, développement et respect des droits de l’homme, et à la nécessité d’adopter une approche globale, intégrée, qui combine au mieux les instruments de la politique étrangère et de sécurité, du commerce, de la coopération au développement et de la migration.

Le sommet de la Valette des 11 et 12 novembre prochains doit permettre une discussion sur une telle approche globale de la question des migrations avec nos partenaires africains, ce dont je me félicite.

Monsieur le président,

Depuis plus de quatre ans maintenant, la Syrie est devenue synonyme de guerre, de violence et d’exode.

Un Syrien sur six a désormais fui son pays. Un Syrien sur deux a dû abandonner son foyer. Chaque jour, 9.500 personnes s’ajoutent à cette liste des déplacés. Chaque minute, une famille est contrainte de laisser tout derrière elle.

Une génération entière d’enfants a été exposée à la guerre, aux violences et à la mort, et a été privée de ses libertés fondamentales, de protection et d’éducation.

Plus de 220.000 personnes ont perdu leur vie. Les bombardements aériens aveugles et les largages de barils d’explosifs, les violences et les violations du droit international continuent sans relâche. Les sièges se poursuivent. Le déni d’assistance et les obstacles à l’aide humanitaire se perpétuent. Des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sont commis chaque jour en toute impunité.

Cela ne peut perdurer. Il faut y mettre un terme. 

Il en va de la responsabilité du Conseil de sécurité. Il en va de notre responsabilité à nous tous.

La solution au conflit en Syrie ne saurait être humanitaire. Elle ne saurait être militaire.

La pire des choses maintenant serait des bombardements frappant sans ligne de conduite définie, sans coordination préalable. Ayons respect d’un peuple qui attend de nous de mettre fin au carnage et non pas de l’aggraver encore davantage.

Une solution au conflit ne peut être que politique.

Un règlement durable passe, nous l’avons dit et redit, par une transition politique, qui réponde aux aspirations légitimes du peuple syrien, en ligne avec le Communiqué de Genève de juin 2012.

Il faut enfin que les actes suivent les paroles. Il faut enfin que les négociations commencent. Il nous faut tous soutenir l’envoyé spécial du secrétaire général Staffan de Mistura dans ses efforts. 

Le sort du peuple syrien en dépend. La stabilité de la Syrie, de ses voisins, de la région, et au-delà, en dépend.

Monsieur le président,

Je dirai un mot dans ce contexte sur la barbarie destructrice du groupe terroriste Daech, et la nécessité impérieuse de la combattre. L’actualité tragique en Syrie, en Iraq, mais aussi en Libye, et ses répercussions en Europe nous montrent que la communauté internationale doit travailler ensemble pour stopper l’avancée de ce groupe terroriste. Mon pays a participé avant-hier à la réunion au sommet organisée par le Président Obama, en continuité du débat tenu au Conseil de sécurité, il y a un an. Vous pouvez continuer de compter sur l’appui du Luxembourg pour contrer Daech et l’extrémisme violent, que ce soit au niveau de la prévention de la radicalisation, de l’échange d’informations, de la lutte contre le phénomène des combattants terroristes étrangers ou de la lutte contre le financement du terrorisme. 

Monsieur le président,

Je me dois d’évoquer une autre tragédie qui est au cœur des bouleversements au Moyen-Orient: le conflit israélo-palestinien.

L’année 2015 a été le triste symbole de l’impasse d’un processus de paix qui n’en porte plus que le nom.

Face à l’absence totale de perspectives, face au cycle des vengeances, l’idée qu’il y aurait une alternative à la solution à deux Etats tend à gagner l’opinion publique et à s’imposer sur le terrain.

J’ai pu m’en rendre compte encore le mois dernier, lors d’un voyage dans la région.

Or, il s’agit-là d’une illusion, peut-être de la plus dangereuse des illusions.

La solution à deux Etats reste la seule voie possible.

Les paramètres sont d’une évidence tant en ce qui concerne les frontières de 1967 qu’en ce qui concerne Jérusalem comme capitale de deux Etats. Faut-il vraiment continuer une politique de colonisation dans le but de nier cette évidence ?

Mais, pour sauver la solution à deux Etats, il faut changer de méthode. Il faut sortir des sentiers battus. L’heure n’est plus à la répétition des démarches qui n’aboutissent à rien. Il faut promouvoir un nouveau format de négociation, élargir le cercle en y associant davantage les Européens et les pays arabes, réactiver le rôle du Conseil de sécurité et fixer un délai raisonnable pour l’aboutissement des négociations.

Israël a le droit de vivre en paix, en sécurité. Mais il est évident à mes yeux que la sécurité de l’Etat d’Israël dépendra de la création à ses côtés d’un Etat de Palestine souverain et démocratique. La solution à deux Etats est la seule solution qui soit juste et morale pour les deux parties.

Le drapeau palestinien flotte désormais aux côtés de ceux des Etats membres de notre Organisation; œuvrons tous pour que ce soit plus qu’un simple symbole.

La solution globale à la question du nucléaire iranien à laquelle les E3+3 et l’Union européenne sont parvenus au bout de plusieurs années de négociations avec l’Iran montre qu’il ne faut pas désespérer de la capacité de la diplomatie à résoudre les problèmes les plus épineux.

Nous espérons que l’application intégrale et rigoureuse du plan d’action global commun adopté le 14 juillet dernier marquera un tournant fondamental pour la paix et la sécurité dans la région.

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Il y aurait encore beaucoup à dire sur d’autres régions du monde ; sur l’Afrique, mais aussi sur mon propre continent, l’Europe, où un conflit d’une autre époque a touché l’Ukraine en février 2014 et perdure à ce jour.

Grâce à des efforts de médiation importants, grâce à l’engagement de l’Allemagne et de la France, de l’Union européenne dans son ensemble, grâce à la coopération étroite entre organisations régionales et internationales, au premier rang desquelles l’OSCE, grâce au suivi continu des Nations Unies, notamment de la situation des droits de l’homme en Crimée et dans l’Est du pays, des jalons ont pu être posés ces derniers mois en vue d’un règlement de la crise en Ukraine. Des efforts méritoires ont notamment pu être constatés en ce qui concerne la décentralisation et l’autonomie régionale. Les élections régionales à venir seront cruciales; surtout l’obligation de les tenir dans tout le pays, donc également dans le Donbass, sous l’autorité de la loi ukrainienne.

À chacun de respecter les engagements souscrits dans les accords de Minsk, pleinement et entièrement.

Une constante demeure, que nous parlons de l’Ukraine, du Moyen-Orient, du Soudan du Sud et de la République centrafricaine, ou encore du Mali et du Burkina Faso: la diplomatie et l’engagement pour le respect des droits de l’homme et l’Etat de droit doivent primer si nous voulons résoudre les crises profondes qui marquent l’actualité.

Notre Secrétaire général a pris toute la mesure de l’enjeu avec l’initiative "Les droits humains avant tout", qui nous rappelle avec force notre responsabilité collective de protéger et de placer les droits de l’homme au centre de l’action engagée par les Nations Unies pour prévenir les conflits.

Tous les acteurs et tous les organes du système des Nations Unies doivent jouer leur rôle à cet effet, mais permettez-moi d’insister plus particulièrement sur le rôle du Conseil de sécurité et de ses États membres. 

La responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales a été conférée au Conseil de sécurité "afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation", selon les termes de la Charte des Nations Unies. La paralysie du Conseil lorsque des populations sont menacées de crimes atroces va à l’encontre de la Charte. C’est pourquoi nous saluons et nous soutenons l’initiative lancée par la France visant à ce que les membres permanents du Conseil de sécurité s’abstiennent de recourir au veto en cas d’atrocités de masse.

Mais, au-delà des membres permanents du Conseil, tous les États membres doivent prendre leurs responsabilités. Tous ont leur rôle à jouer pour œuvrer en faveur d’une action décisive du Conseil de sécurité pour prévenir ou mettre fin à des atrocités de masse. Nous encourageons ainsi tous les États membres à soutenir le code de conduite relatif à l’action du Conseil de sécurité contre le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, qui sera officiellement lancé à l’occasion du 70e anniversaire des Nations Unies. Ce code de conduite a été élaboré par le groupe ACT, dont le Luxembourg est membre.

La responsabilité de protéger doit cesser d’être un principe abstrait pour devenir une réalité concrète.

Monsieur le président,

A 70 ans, l’Organisation des Nations unies doit pouvoir s’adapter pour être à la hauteur de la tâche. Nous saluons à cet égard les examens en cours pour rendre l’action de l’ONU plus efficace, au niveau des opérations de paix, de la consolidation de la paix ou de l’application de la résolution 1325 visant à reconnaître le rôle indispensable des femmes pour la paix et la sécurité. Le Luxembourg continuera de s’engager avec les États membres – et ils sont nombreux – qui souhaitent faire avancer la réforme de l’ONU. Je pense en particulier à la réforme du Conseil de sécurité, afin de le rendre plus efficace, transparent et représentatif du monde d’aujourd’hui.

Monsieur le président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de conclure mon intervention comme je l’ai commencée: par une citation.

Elle est de Mahatma Gandhi.

Je la comprends comme une exhortation, un rappel des responsabilités qui nous incombent à nous tous si nous souhaitons réaliser le rêve des créateurs de notre Organisation, le rêve d’un monde de paix et de dignité pour tous, le rêve d’un monde meilleur. Je cite:

"Vous devez être le changement que vous voulez voir dans ce monde".

Je vous remercie."

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