Discours de Jean Asselborn "Le Moyen-Orient à la croisée des chemins?" au campus de Sciences Po Paris, à Nancy

"Le phénomène des combattants terroristes étrangers démontre à quel point les effets de cette déstabilisation ne sont plus des évènements extérieurs"

©MAEE
Jean Asselborn lors de son discours

M. le directeur (François Laval),

M. le doyen de la faculté de droit (Eric Germain),

Messieurs et Mesdames les professeurs,

Mesdames, Messieurs,

Chers Etudiants,

Je voudrais commencer mon exposé par une phrase d’Antonio Gramsci tirée des carnets de prison qu’il a tenus en tant que prisonnier politique de Mussolini. Cette citation me paraît particulièrement pertinente pour décrire la situation actuelle au Moyen-Orient.

"Le vieux monde se meurt. Le nouveau monde tarde à paraître. Et dans ce clair-obscur les monstres surgissent."

Ces monstres prennent le visage de paysages et de patrimoines dévastés, des atrocités commises contre des civils, de massacres, d’utilisation d’armes chimiques au 21e siècle, des millions de réfugiés et de personnes déplacées, de l’instrumentalisation des différences confessionnelles et ethniques, de viols, de crimes de guerre et contre l’humanité, d’une violence inouïe qui ne connaît ni limites, ni frontières.

Ce soir, je voudrais me concentrer sur les principaux foyers de crise et de tension au Moyen-Orient dont la perpétuation aggrave une situation humanitaire déjà critique, déstabilise l’ensemble de la région et constitue une menace pour l’avenir de l’Europe et du monde. Le phénomène des combattants terroristes étrangers démontre à quel point les effets de cette déstabilisation ne sont plus des évènements extérieurs. Cela montre que même si vous ne vous intéressez pas au Moyen-Orient, le Moyen-Orient finira certainement par s’intéresser à vous. Cela vaut donc la peine de s’attarder sur le sujet. Il s’agit sans nul doute d’une région passionnante,  - berceau de l’humanité - et en même temps déprimante pour quiconque s’intéresse à la politique internationale. Mais si l’on fait preuve d’intérêt, de curiosité et d’empathie pour ses habitants, son histoire, ses cultures,  on peut comprendre pas mal de choses qui s’y passent.

Les questions qui se posent sont les suivantes: Sommes-nous en train d’assister au crépuscule d’une époque? Un nouvel ordre régional est-il en train de se mettre en place? 

Avant d’esquisser une tentative de réponse, je voudrais cependant vous présenter dans un premier temps un tour d’horizon de la situation au Moyen-Orient, en essayant de mettre en avant les principales évolutions.

Première réflexion, parler du Moyen-Orient, c’est malheureusement parler d’abord et surtout de ses multiples crises. Selon la célèbre formule du général de Gaulle, "vers cet Orient compliqué, je volais avec des idées simples". Il est vrai que la complexité caractérise "l’Orient", et cette région n’a jamais été aussi déstabilisée qu’aujourd’hui.

L’Orient est divisé par des clivages qui se multiplient et s’approfondissent. Les lignes de fractures sont nombreuses: confessionnelles, ethniques, géopolitiques, idéologiques, économiques, sociales. Des frontières ont disparu dans la pratique, comme celle entre la Syrie et l’Irak, tandis que d’autres restent à être tracées, comme celle entre Israël et la Palestine. 

Les tensions entre sunnites et chiites, qui n’ont fait que croître depuis la révolution islamique en 1979 en Iran, retiennent généralement l’attention, mais les pays du Moyen-Orient sont également divisés - entre pays qui sont résolument hostiles à l’Iran, et à son influence régionale (comme l’Arabie Saoudite), et d’autres qui sont plus accommodants (comme l’Oman); entre les pays favorables aux Frères musulmans (comme la Turquie) et à l’islam politique et d’autres qui considèrent les Frères musulmans comme des terroristes (comme l’Egypte); et l’on pourrait continuer cette énumération.

Oui, le Moyen-Orient est entré dans une phase de mutations profondes. Mais celles-ci ne se résume pas à un conflit entre sunnites et chiites ou à un supposé "choc des civilisations", trop réducteur et simplificateur pour refléter la réalité. Les crises actuelles connaissent surtout des raisons politiques des plus classiques, il s’agit le plus souvent de questions profanes de partage du pouvoir, de tracé des frontières, de représentation politique, ou de lutte d’influence à l’intérieur et à l’extérieur des pays. Mais il est vrai que le facteur religieux complique les choses.

Il est évidemment trop tôt pour porter un regard d’ensemble et définitif sur le "printemps arabe" de 2011, mais celui-ci paraît globalement dans l’impasse, même si les débuts paraissaient largement prometteurs. Hormis la Tunisie, où la transition vers la démocratie est orientée dans la bonne direction, le chaos règne en Syrie, en Libye et au Yémen. En Egypte, malgré la reprise en main par le président actuel, la situation reste difficile et les attentats se multiplient depuis le mois de janvier.

Trois sujets principaux me paraissent déterminants pour l’évolution de la région – les conflits syrien et irakien ainsi que la montée en puissance de Daech qui s’en nourrit,  le dossier nucléaire iranien, et, last but not least, le conflit israélo-palestinien.

Permettez-moi de revenir rapidement sur les conséquences chiffrées de la guerre en Syrie qui est entrée dans sa cinquième année.

Quatre Syriens sur cinq vivent aujourd’hui dans la pauvreté, la misère et les privations. Le pays a perdu quatre décennies de développement humain, l’espérance de vie des Syriens a chuté de 20 ans depuis 2011.

Près de cinq millions de Syriens sont toujours pris au piège sans nourriture ni aide médicale dans des zones difficiles d'accès ou assiégées.

Plus de 215.000 personnes ont péri depuis mars 2011, dont 76.000 en 2014, l'année la plus meurtrière.

Trois millions neuf cent mille réfugiés ont été enregistrés en Jordanie, au Liban, en Irak et en Turquie.

Ces chiffres dépassent l’entendement. Et montrent sans appel que la communauté internationale a échoué jusqu'à présent à trouver une solution politique et a échoué à éviter une escalade du conflit.

J’en viens à Daech, le soi-disant "État Islamique". L’émergence de Daech est évidemment liée aux conflits en Syrie et en Irak. En Irak, la montée du sentiment de marginalisation, de dépossession et d’humiliation des populations sunnites a été très longtemps négligée, ce qui a fait le lit de Daech. En Syrie, les exactions du régime Assad étaient le plus souvent dirigées contre des sunnites, qui constituent environ 70% de la population syrienne.  

Cette organisation extrémiste a modifié l’équation de la crise syrienne en faisant apparaître de nouveaux fronts avec l’opposition non-djihadiste, avec les Kurdes et  avec le régime lui-même. La montée en puissance de Daech induit aussi la radicalisation croissante de l’opposition armée. De nombreux groupes se sont ralliés à des organisations affiliées à Al-Qaida ou à Daech, que ce soit par intérêt stratégique ou financier.

En Irak, les conquêtes territoriales de Daech peuvent ouvrir la perspective d’une scission du pays en trois entités: le Kurdistan au Nord; un "sunnistan" qui pourrait notamment déborder sur une partie de la Syrie; enfin un "chiistan" au sud. 

En ce qui concerne la coalition internationale qui s’est constituée sous l’égide des États-Unis, son action contre Daech repose sur un pari stratégique: en l’absence de troupes au sol, la stratégie de la coalition consiste, d’une part, à soutenir des forces locales directement menacées par Daech et, d’autre part, à s’appuyer sur les pays voisins, qui devraient normalement avoir intérêt à faire cesser une menace pesant directement sur leur propre sécurité. Ce pari n’est pas gagné.

Il faudrait surtout parvenir à détacher de Daech des tribus sunnites. En Irak, cela nécessite une véritable politique de réconciliation nationale qui prendra probablement du temps, car les défis sont considérables et le précédent gouvernement, celui de Nouri al-Maliki, avait fortement accru les divisions entre les sunnites et les chiites. En Syrie, dans l’état actuel de l’opposition modérée non-djihadiste et dans la mesure où toute alliance militaire avec Bachar el-Assad reste rejetée par la coalition, il est de plus en plus difficile d’identifier les forces locales sur lesquelles on pourrait s’appuyer dans le combat contre Daech.

La coalition est très large, puisqu’elle regroupe aujourd’hui 62 pays et organisations internationales. Mais il y a beaucoup d’arrière-pensées dans l’engagement des uns et des autres, les objectifs n’étant pas nécessairement identiques.

La coalition s’est fixée cinq lignes principales d’action: apporter un soutien militaire à des partenaires locaux; endiguer l’afflux des combattants terroristes étrangers qui nous pose un vrai problème; tarir les sources de financement de Daech, en particulier les différents trafics, tels que celui du pétrole; étendre le domaine de la lutte à la sphère des idées et aux médias, en combattant la propagande de Daech; traiter les aspects humanitaires de la crise.

Tout cela est compliqué et je reste convaincu qu’il n’y aura pas de véritable éradication de Daech sans solution politique en Syrie. Si Daech devait disparaître demain, qui sait si une autre organisation monstrueuse ne se lèverait pas après-demain en Irak ou en Syrie? Hier c’était Al-Qaïda et aujourd’hui Daech. Les drapeaux sous lesquels les terroristes se réunissent changent, mais les causes profondes de l’émergence de ces organisations terroristes subsisteront si nous ne travaillons pas des solutions politiques qui prennent en compte l’ensemble des populations concernées.

Chers étudiants,

Le Luxembourg, malgré ses ressources limitées, reste actif à tous les niveaux. Il le fait par un engagement politique constant dans la plupart des dossiers régionaux, par des efforts diplomatiques sur le terrain et dans toutes les enceintes, en particulier l’UE et l’ONU, et par des coopérations avec les partenaires clefs dans la région.

Cet engagement contribue à donner à mon pays une voix dans la région, une voix qui est appréciée par mes homologues dans cette partie du monde. Cet engagement participe aussi à la défense des valeurs européennes. La question des droits de l’homme figure au premier rang des préoccupations de notre politique étrangère dans cette région. Le traitement des minorités et de la société civile, l’assistance humanitaire aux plus démunis, le respect des valeurs démocratiques sont des sujets que j’aborde régulièrement avec les dirigeants de cette partie du monde.

Le conflit syrien pose ainsi plusieurs défis dont je voudrais ici brièvement en mentionner deux : l’assistance humanitaire et le phénomène des "combattants terroristes étrangers".

Au titre de son engagement humanitaire dans le conflit syrien, le Luxembourg, en tant que membre non-permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies de 2013 à 2014, a initié trois résolutions en matière d’assistance humanitaire à travers les frontières et à travers les lignes de conflit. La mise en œuvre de ces résolutions reste malheureusement insatisfaisante à l’heure actuelle, et j’ai régulièrement exhorté la communauté internationale à faire pression sur le régime syrien pour que l’assistance humanitaire parvienne enfin à ceux qui en ont le besoin le plus urgent.

Le deuxième défi auquel essaie de répondre notre politique étrangère est celui du phénomène des djihadistes qui partent en Syrie et en Irak pour combattre dans les rangs de Daech. Il s’agit ici d’un défi inédit pour notre sécurité intérieure comme l’ont illustré de façon tragique les attentats de Charlie-Hebdo. Le Moyen-Orient appartient pourtant à l’environnement immédiat de l’Europe et sa déstabilisation croissante s’accompagne de menaces particulièrement graves pour nous tous.

Je souhaite que mon pays et l’Europe restent engagés au Moyen-Orient, pour les raisons que je viens de vous présenter brièvement.

Que faire ?

En Syrie, force est de constater qu’aucune solution militaire ne se dessine, du moins dans un avenir proche. Le régime syrien est certes parvenu à rétablir partiellement sa situation, mais il ne paraît pas en mesure de reconquérir l’ensemble du territoire. Il profite même de l’existence de Daech car cette organisation lui permet de se présenter en tant que rempart contre le djihadisme, raison pour laquelle le régime Assad a libéré des centaines d’extrémistes des prisons syriennes au début de la guerre. Quant à l’opposition syrienne dite « modérée », elle se trouve dans une situation de grande faiblesse, en particulier par rapport aux groupes djihadistes, et elle ne semble pas davantage être en mesure de l’emporter. Dans le même temps, tandis que les acteurs impliqués dans le conflit syrien, de près ou de loin, évoquent, officiellement, la nécessité d’une "solution politique", l’engrenage se poursuit. Le Conseil de sécurité des Nations Unies reste divisé et des acteurs externes continuent à soutenir les différentes parties du conflit dans leurs efforts militaires.

Plus le temps passe, plus le bilan humain et matériel du conflit s’alourdit, dans des proportions effroyables. Nous continuons tous à appeler de nos vœux: une Syrie unie, démocratique, plurielle au plan confessionnel et ethnique, respectueuse des droits de l’homme et des minorités. Seule une solution politique négociée paraît de nature à sauver le pays du chaos complet vers lequel il se dirige.

Dans ces conditions, tout doit être fait pour soutenir les propositions qui restent sur la table, même si l’échec de tous les efforts qui ont été engagés au plan international, jusqu’à présent, ne conduisent pas nécessairement à faire preuve d’un grand optimisme.

Il s’agit aujourd’hui du plan de "gel des hostilités" mis en avant par l’ONU. Le plan de l’ONU vise en particulier à atténuer le niveau des violences, à enrayer la dégradation de la situation humanitaire et à essayer d’avancer vers une solution politique négociée, en adoptant une approche "bottom – up" et par une série de cessez-le-feu locaux.

S’il convient de favoriser une solution politique en Syrie, car il n’existe pas d’autre issue, cela implique de faire preuve de réalisme. Une transition qui ne s’accompagnerait pas du maintien de certains éléments de l’Etat syrien, risquerait de plonger le pays dans un chaos encore plus grand et de déstabiliser encore davantage les pays voisins. Il faut éviter les erreurs de la débaathification qui a été faite en Irak en 2003 après l’invasion américaine.

La poursuite du conflit résulte en grande partie de l’interférence d’un certain nombre d’acteurs extérieurs – Iran, Turquie, Qatar ou encore l’Arabie saoudite – qui continuent leur soutien aux belligérants. Une détente régionale, notamment entre l’Iran et l’Arabie saoudite, permettrait de réduire le niveau des violences et de pousser les belligérants à la table de négociation. Cela calmerait également les situations en Irak et au Yémen.

Chers étudiants,  

Une des rares bonnes nouvelles qui nous parviennent ces derniers mois du Moyen-Orient concerne le règlement très probable du conflit sur le programme nucléaire iranien.

Le groupe des "P5+1" (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) et l'Iran se sont mis d'accord le 2 avril sur un accord-cadre au sujet du nucléaire iranien après de difficiles tractations qui ont commencées le 24 novembre 2013. L’accord-cadre, établit les "paramètres clés" d'un futur accord définitif et marque une percée historique dans le dossier du nucléaire iranien. L’accord définitif doit être rédigé d'ici au 30 juin, d’après le principe "rien n'est convenu tant que tout n'est pas convenu". Tout accord final devra être endossé par le Conseil de sécurité de l'ONU.

Pour la première fois depuis douze ans, date des premiers pourparlers avec Téhéran, le cadre précis d’un règlement destiné à empêcher l’Iran de se doter d’une arme nucléaire a été défini. C’est un succès dans la lutte contre la prolifération nucléaire. Il s’agit d’un accord de non-prolifération salutaire dans un grand Moyen-Orient qui compte déjà au moins deux puissances nucléaires non membres du traité de non-prolifération (Israël et Pakistan) et n’a assurément pas besoin d’une troisième, voire plus.

Les principaux paramètres de l’accord-cadre de Lausanne portent sur la durée de l’encadrement du programme nucléaire iranien, sa capacité d’enrichissement, la levée progressive des sanctions et le régime d’inspection de l’Agence Internationale à l'Energie Atomique.

Le fardeau des sanctions a sans doute conduit Téhéran à la table des négociations, mais ne l’a aucunement dissuadé d’accroître ses capacités en matière d’enrichissement de l’uranium – le chemin vers l’arme atomique.

Dans cette affaire, il ne peut y avoir de statu quo. Attendre, c’est prendre le risque d’une République islamique chaque jour plus à même d’enrichir de la matière fissile à des fins militaires.

L’autre option, c’est la guerre, des bombardements sur les installations iraniennes, avec le risque d’ajouter un conflit dans une région déjà à feu et à sang. Sans compter que ni la guerre, ni le statu quo ne garantiraient que l’Iran ne finisse par se doter de la bombe.

Les P5+1 ont eu raison de relancer la négociation. Au prix d’une concession majeure faite à Téhéran – le droit d’enrichir de l’uranium à faible teneur sur son territoire - ils sont arrivés à leurs fins: placer le programme iranien sous des contraintes telles que la communauté internationale disposerait d’un délai d’un an pour détecter une violation de l’accord et réagir.

Il est possible que l’accord esquisse une normalisation des relations entre les États-Unis et l’Iran, gelées depuis trente-cinq ans, laquelle conduirait à une plus grande ouverture de la République islamique sur l’Occident, donc à sa modération. Une telle évolution serait un vrai facteur de stabilisation au Moyen-Orient, et, après m’être rendu à Téhéran et Ispahan en juin dernier, je suis convaincu qu’une grande partie de la population iranienne, surtout parmi les jeunes, appelle de ses vœux une plus grande ouverture de leur pays.

On n’en est pas là. Une étrange coalition s’est constituée – l’Arabie saoudite, chef de file du monde arabe sunnite, Israël et la majorité républicaine au Congrès américain – pour dénoncer un accord qui, selon elle, renforcera les partisans d’une ligne dure à Téhéran et rendra la République islamique encore plus expansionniste. Pour eux, la menace stratégique numéro un dans la région est l’Iran, loin devant les djihadistes de l’État islamique.

Mesdames, Messieurs,

J’en viens au dernier foyer de tensions, et non des moindres: le conflit israélo-palestinien. L’été dernier, à Gaza, la troisième explosion de violence en cinq ans, la plus meurtrière, nous a douloureusement rappelé que ce conflit n’avait rien perdu de sa centralité stratégique. Le bilan était terrible: plus de 2.100 morts côté palestinien, des civils pour la plupart, et 73 côté israélien, dont 67 soldats. Près de 100.000 Gazaouis se sont retrouvés sans abri. Six mois après la dernière guerre, rien n’est réglé à Gaza, il n’y a pas eu d’avancée vers un accord de cessez-le-feu durable et les efforts de reconstruction sont bien trop lents. La situation est aujourd’hui plus proche à d’situation de pré-conflit que de post-conflit.

L’année 2014 est le triste symbole de l’impasse d’un processus de paix qui n’en porte plus que le nom, et de l’escalade de la violence, dont les peuples, Palestinien et Israélien, continuent de payer le prix.

L'échéance des négociations entre Israël et les Palestiniens a expiré le 29 avril 2014 sans résultat, soldant l'échec des intenses efforts de John Kerry, dernière tentative en date pour résoudre le conflit. Aujourd'hui les contacts directs israélo-palestiniens sont suspendus. La responsabilité principale pour l'échec des négociations incombe au gouvernement de M. Netanyahou, qui a fait le choix de poursuivre la colonisation: le nombre de colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupée atteint presque 600.000 personnes.

Les nouvelles annonces de construction de logements dans des colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie continuent de mettre de l’huile sur le feu dans un contexte de tension continuelle autour de l’Esplanade des Mosquées qui est régulièrement le théâtre d'affrontements.

Le maintien d’un conflit de basse intensité est devenu intenable. Surtout, l’idée qu’il y ait une alternative à la solution à deux États, peut-être la plus dangereuse des illusions, tend à gagner l’opinion et à s’imposer sur le terrain. Le cycle historique, ouvert par la signature des accords d’Oslo en 1993, se referme aujourd’hui. Il faut inventer autre chose.

La paix doit s’appuyer sur une Initiative arabe de paix réactivée. Elle vise à normaliser les relations entre  Israël et le monde arabe, en échange du retrait total des Territoires occupés et d’une solution viable pour les réfugiés palestiniens. Israël doit fournir une réponse à l’Initiative de paix arabe au lieu de se contenter de la rejeter sous prétexte que celle-ci soit dépassée. Deuxième point, ne perdons pas de vue qu’il revient aux deux protagonistes de faire la paix. Le conflit est devenu un piège dont les autorités israéliennes ne parviennent pas à sortir. Selon certains, la supériorité militaire se mue en infériorité stratégique, car l’image d’Israël se dégrade à chaque nouvelle crise et menace le pays d’isolement diplomatique et de difficultés avec cet allié indispensable que sont les Etats-Unis. Israël doit enfin mettre fin à la colonisation illégale de terres palestiniennes pour reprendre des négociations.

Côté palestinien, le privilège accordé à la voie politique depuis les accords d’Oslo est en échec et pousse une Autorité palestinienne affaiblie au plan interne à une diplomatie onusienne aux conséquences et résultats incertains.

Par conséquent, bien qu’Israéliens et Palestiniens soient ceux qui portent le poids des négociations, la communauté internationale ne peut pas rester les bras croisés. Selon Miguel Ángel Moratinos, ancien envoyé spécial de l’Union européenne au Proche-Orient, "nous sommes nombreux à connaître les raisons de l’échec des négociations antérieures. Nous devons assumer notre part de responsabilité." Les États-Unis ne sont en tout cas plus en capacité de résoudre seuls la question. Que faire face à ce constat d’échec ?

Tout d’abord, il s’agit de convaincre nos amis israéliens que l’existence de l’État palestinien est la meilleure garantie pour la sécurité d’Israël et de faire entendre à nos amis palestiniens que la voie de la négociation est inévitable.

Deuxièmement, il nous faut remettre, de manière collective, le droit international et le Conseil de sécurité au cœur du règlement de la question, par une résolution qui fixerait un cadre et un calendrier aux négociations. Le Conseil est aujourd’hui plus favorable à une initiative et il serait difficile aux Américains d’opposer leur veto à une proposition consensuelle sans mettre en danger leur relation avec les pays arabes, avec lesquels ils sont engagés dans la lutte contre le terrorisme.

Troisièmement, il faut promouvoir un nouveau format de négociation: l’Union européenne et les Etats arabes doivent être associés plus étroitement au règlement du conflit. L’Europe est perçue comme un simple bailleur de fonds "a payer, not a player". Elle doit utiliser tous les leviers politiques et économiques dont elle dispose pour inciter les parties à revenir aux négociations, faire valoir le bénéfice d’une paix négociée, et prendre des mesures concrètes dès que la solution des deux Etats est remise en cause sur le terrain. J’aimerais vous fournir un exemple concret de cette politique qui pourrait vous toucher dans votre vie de tous les jours: 16 Etats membres de l’UE viennent de demander la semaine dernière que l’UE prenne des mesures pour que les produits issus des colonies israéliennes soient clairement étiquetés comme tels: les consommateurs doivent être mis en mesure de faire des choix éclairés par rapport à l’origine des produits qu’ils achètent au supermarché. Cette proposition ne plaît certainement pas aux autorités israéliennes, mais il s’agit de signifier notre opposition à la poursuite de la colonisation dans les territoires palestiniens et d’inciter Israël à reprendre de façon sérieuse les négociations.  Selon un rapport d'ONG publié en 2012, l'UE importe chaque année 15 fois plus de biens en provenance des colonies israéliennes que des Territoires palestiniens.

Quatrièmement, il s’agit de soutenir et d’accompagner le processus de réconciliation inter-palestinienne. L’Union européenne doit soutenir les efforts de Mahmoud Abbas en faveur d’un retour de l’Autorité palestinienne à Gaza et d’une réconciliation inter-palestinienne conforme aux principes agréés par la communauté internationale.  

Enfin, il faut éviter un retour au statu quo antérieur au conflit à Gaza. La reconstruction de Gaza, dont le rythme doit s’accélérer, n’est pas seulement une urgence humanitaire et sécuritaire, c’est un problème politique qui doit trouver une réponse sous peine d’entraîner une recrudescence des violences. Le blocus de Gaza doit être levé pour permettre une amélioration fondamentale des conditions de vie de la population.

Chers étudiants,

J’espère que ce bref tour d’horizon sur l’Orient compliqué ne vous a pas trop découragé ce soir. Comme je vous ai dit au début, cela vaut la peine de s’y intéresser.

Pour conclure, je voudrais ici citer l’écrivain Percy Kemp: "Si vous avez compris quelque chose au Moyen-Orient, c’est sûrement qu’on vous a mal expliqué".

Je vous remercie de votre attention.

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