Jean Asselborn au sujet du projet européen

"Contrer le désastre social"

Interview: Nicolas Klein

Le Quotidien: Quel bilan général tirez-vous des élections européennes?

Jean Asselborn: On a vu toutes les facettes de l'échiquer. En Allemagne, la coalition au pouvoir a été confirmée. En Italie, on a vu qu'un gouvernement qui réforme a été soutenu, au contraire de la France où la politique du gouvernement a été rejetée. On a bien sûr vu une poussée extrême de l'antieuropéanisme. Même en Grande-Bretagne qui a pourtant un gouvernement qui n'est pas pro-européen. Il n'y a qu'aux Pays-Bas que les populistes sont sur la pente descendante. Au Parlement européen, il y a environ 230 députés qui veulent détruire l'Europe. Il y a surtout un phénomène qui ne me plaît pas du tout, celui qui veut que les gens qui se réfèrent à l'idée première de l'Europe, c'est-à-dire un projet de paix et de paix sociale, soient considérés comme des gens du passé.

Le Quotidien: Sur la question de la candidature de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne, pensez-vous que le soutien d'Angela Merkel puisse faire pencher la balance au sein du Conseil européen?

Jean Asselborn: Pour ce qui est de la candidature de M. Juncker, c'est aussi l'affaire du PPE [Parti populaire européen]. Le PPE et le PSE [Parti socialiste européen] ont chacun choisi leur tête de liste [Jean-Claude Juncker et Martin Schulz]. Si vous choisissez une tête de liste, vous ne pouvez pas éjecter la tête de liste après les élections. Ni le PPE ni le PSE n'ont la majorité, les deux familles politiques doivent travailler ensemble. Les socialistes européens se sont réunis et ont déclaré qu'ils respectaient le vote des citoyens européens et qu'il fallait donner une chance à M. Juncker. Mais c'est un soutien sous conditions, il faut que Martin Schulz soit désigné vice-président de la Commission avec un portefeuille important. Et pour cela, il faut que le gouvernement allemand nomme Martin Schulz en tant que commissaire.

Le Quotidien: Que pensez-vous de la position de David Cameron, le Premier ministre britannique, qui aurait menacé de quitter l'Union européenne si Jean-Claude Juncker était désigné?

Jean Asselborn: Cameron ne veut pas d'un président de la Commission pro-européen. On le savait dès le départ. Je ne souhaite pas que le Royaume-Uni quitte l'UE, car dans ce cas-là, l'UE ne jouerait plus dans la 'Champions League", elle perdrait énormément aux niveaux économique et politique. Mais les Britanniques ne sauraient être en mesure de détruire l'idée fondamentale de l'UE.

Quotidien: Ne va-t-on pas vers un conflit entre le Parlement européen et le Conseil [qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement]?

Jean Asselborn: Il faut à tout prix éviter une guéguerre entre le Parlement et le Conseil. C'est vital pour sortir l'UE du trou. On ne peut pas laisser penser aux citoyens que le seul débat en Europe se résume à une question de personne, à savoir si c'est M. Juncker, M. Schulz ou un autre qui sera président de la Commission. Il faut que l'Europe s'occupe des vrais problèmes des citoyens, la lutte contre le chômage et le changement climatique par exemple.

Le Quotidien: A Athènes, vendredi dernier, vous avez rappelé votre attachement au principe de la libre circulation et donc aux accords de Schengen.

Jean Asselborn: Oui, bien sûr. Malgré ce que peut en penser Nicolas Sarkozy, qui a publié une tribune trois jours avant les élections européennes remettant en cause ces accords, la libre circulation est l'un des principes fondateurs de l'Union européenne. Pour la jeune génération cela représente beaucoup. Il ne faut pas que la liberté fondamentale de circuler soit coupée en morceaux.

Le Quotidien: Vous avez également souligné que l'Union était avant toute chose une communauté de valeurs. Pour vous, ces valeurs sont-elles en danger?

Jean Asselborn: Oui, depuis 2010 [accession de Viktor Orban au pouvoir en Hongrie]. Je ne comprends pas qu'Orban fasse encore partie du PPE [la Fidesz, le parti de Viktor Orban, est membre du PPE]. Il y a un laisser-faire au niveau du Conseil. Orban ne respecte pas les règles de la démocratie. Il intervient dans la nomination des juges de la Cour suprême, même la Turquie n'en est pas à ce point. Il faut absolument que les Etats membres évitent des condamnations à la Cour européenne des droits de l'Homme, comme la Hongrie récemment [la CEDH a condamné le 27 mai la Hongrie pour avoir limogé en 2012 le président de la Cour suprême, Andras Baka, parce qu'il avait critiqué les réformes judiciaires engagées par le gouvernement Orban].

Le Quotidien: Quelle politique doit être menée dans les années à venir au niveau européen?

Jean Asselborn: Au sein de l'UE, il y a déjà une tendance forte allant vers moins d'austérité. Il faut développer la même énergie pour la culture sociale que celle avec laquelle on défend l'équilibre des comptes et le PSE doit pousser dans cette direction. Il faut se donner des règles d'or pour contrer le désastre social [allusion aux "règles d'or" qui encadrent strictement le déficit et la dette publique des Etats membres.

Dernière mise à jour