Réponse du ministre de l'Immigration et de l'Asile à la lettre ouverte de la Commission consultative des Droits de l'Homme et de l'Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher

La notion d'intérêt supérieur de l'enfant, issue de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant et reprise par la suite dans de nombreux textes de droit international, se retrouve dans les directives européennes adoptées en matière d'asile et d'immigration et transposées en droit luxembourgeois. Tant la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration (ci-après: la loi) que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire se réfèrent à différents endroits à l'intérêt supérieur de l'enfant, à considérer tout au long des diverses procédures applicables en la matière. Ainsi par exemple, afin de garantir que les procédures adéquates soient introduites dans l'intérêt supérieur de l'enfant, le mineur non accompagné (MNA) se voit désigner par le juge aux affaires familiales un administrateur ad hoc dont la mission est de conseiller le MNA, de déterminer quelles démarches administratives il convient d'entamer et le cas échéant l'assister et le représenter notamment au cours des procédures relatives à sa demande de protection internationale.

Dans une lettre ouverte intitulée "A quand une composition neutre et compétente en matière d'évaluation de l'intérêt supérieur des mineurs non accompagnés?" adressée au Ministre de l'Immigration et de l'Asile, la Commission consultative des Droits de l'Homme (CCDH) et l'Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher (OKaJu) considèrent que la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant ne serait pas garantie dans le cadre de la composition de la Commission consultative d'évaluation de l'intérêt supérieur des mineurs non accompagnés (ci-après: la Commission) prévue à l'article 103 de la loi, reprochant ainsi au gouvernement d'ignorer le respect des droits des enfants et plus particulièrement des MNA. La CCDH et l'OKaJu estiment en particulier que le problème essentiel de cette Commission tiendrait à "son manque de neutralité et d'indépendance par rapport au Ministre de l'Immigration et de l'Asile en sa qualité d'autorité chargée d'exécuter le retour". Les auteurs illustrent leurs propos en citant le Comité des droits de l'enfant des Nations unies (CRC), qui a demandé en 2021 au Luxembourg que la Commission comprenne "parmi ses membres des représentants d'organisations non gouvernementales et d'organes compétents responsables des enfants migrants non accompagnés".

Si la loi se contentait de prévoir jusque fin 2019 qu'aucune décision de retour ne peut être prise contre un MNA sauf si l'éloignement est nécessaire dans son intérêt ou en cas de motifs graves de sécurité publique, elle précise depuis lors que l'intérêt supérieur de l'enfant est évalué individuellement par une commission consultative. En effet, en 2016, dans le cadre de l'évaluation Schengen en matière de retour, il avait été recommandé au Luxembourg de baser les décisions quant à une éventuelle obligation de quitter le territoire sur une évaluation individuelle de la situation du MNA, notamment en sollicitant la mise en place d'une équipe multidisciplinaire et expérimentée. Suite à cette recommandation, le Conseil de gouvernement a approuvé en 2017 la création d'une telle commission.

Cette dernière, qui a entretemps été institutionnalisée et qui fait l'objet des critiques avancées par la CCDH et l'OKaJu, est constituée d'une équipe pluridisciplinaire de quatre membres représentant respectivement l'Office national de l'accueil, l'Office national de l'Enfance, le parquet en tant qu'expert en matière de protection de la jeunesse, et non en tant qu' "autorité répressive" comme le reprochent à tort la CCDH et l'OKaJu, et le ministre ayant l'Immigration et l'Asile dans ses attributions. Il convient de préciser que ce dernier membre est un agent du service réfugiés de la Direction de l'immigration, qui traite les demandes de protection internationale en étant spécialisé dans le domaine des MNA. L'agent est indépendant de l'organe chargé des retours. La composition de la Commission a d'ailleurs été avalisée par la Commission européenne.

Composée partant d'experts en la matière, la Commission analyse tous les éléments à prendre en considération afin de lui permettre de rendre un avis objectif et impartial quant à l'intérêt de l'enfant de retourner ou non dans son pays d'origine, auprès de sa famille ou dans une structure adaptée. Pour accomplir sa mission, elle dispose en principe d'un rapport individuel établi par l'Organisation internationale pour les migrations concernant la situation familiale, les conditions de vie ainsi qu'une prise de position des parents, respectivement de la famille, du MNA.

L'UNHCR, à l'occasion d'une formation sur l'intérêt supérieur de l'enfant organisée avec lui en octobre 2019 par la Direction de l'immigration, à laquelle tous les membres de la commission initiale ont assisté, accueillit d'ailleurs déjà à l'époque "favorablement la mise en place récente au Luxembourg d'un panel pluridisciplinaire chargé de déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant dans le cadre d'une décision de retour. Ceci témoigne de l'attention portée par le Luxembourg aux enfants non accompagnés, et ce depuis de nombreuses années".

Si la Commission est ainsi déjà pluridisciplinaire, elle le sera prochainement encore davantage dans la mesure où un projet de règlement grand-ducal avisé par le Conseil d'Etat en date du 28 juin 2022 modifiera la composition de la Commission afin d'y ajouter, en tant que 5ème membre, un acteur de la société civile œuvrant depuis au moins 10 ans dans le domaine de la protection de l'enfance. Le même projet supprimera par ailleurs la voix actuellement encore prépondérante du président de la Commission en cas d'égalité des voix, qui est le représentant du ministre ayant l'Immigration et l'Asile dans ses attributions, ce qui renforcera le caractère impartial et neutre de ses avis.

Bien qu'un acteur non-étatique ayant une expertise en matière de droits de l'enfant va rejoindre en tant que membre la Commission, comme l'a réclamé par la CCDH dans son avis de janvier 2020 sur le projet de règlement grand-ducal relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission, la CCDH et l'OKaJu jugent cela insuffisant dans leur lettre et estiment que, sauf pour la demande de protection internationale, toutes les décisions concernant l'enfant devraient être prises par un organisme de protection de l'enfance et non par une autorité de migration. Les auteurs s'appuient là encore sur le CRC, qui a également suggéré en 2021 de faire de la Commission "un organe décisionnaire indépendant et pluridisciplinaire", ainsi que sur les lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), qui suggère qu'excepté les décisions concernant la protection internationale, les décisions concernant l'enfant devraient être prises par un organisme de protection de l'enfance. Or la CCDH et l'OKaJu omettent de préciser que l'UNHCR écrit suite au passage cité que les tuteurs sont des personnes clé dans la prise de décision, puisqu'ils agissent dans l'intérêt de l'enfant et que les enfants doivent être impliqués dans les décisions les concernant, l'UNHCR constatant par ailleurs que la question de la séparation des organes décisionnels conseillée nécessite une analyse approfondie dans la mesure où elle semble se heurter à des problèmes de légalité. Le Ministre constate ainsi que le règlement grand-ducal du 4 novembre 2020 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission (ci-après: le RGD) remplit déjà les prédites conditions essentielles aux yeux de l'UNHCR, car il dispose que l'administrateur ad hoc du MNA est invité à apporter son point de vue à la Commission et que celle-ci doit entendre le MNA.

Il convient de constater qu'en exigeant qu'excepté la demande de protection internationale, toutes les décisions concernant l'enfant soient prises par un organisme indépendant et non plus par l'autorité de migration, la CCDH et l'OkaJu ne critiquent pas vraiment, comme ils l'affirment, la composition et le fonctionnement de la Commission, mais ils remettent en réalité en cause les attributions de la Commission en voulant faire d'une commission consultative un véritable organe décisionnel. Ainsi que l'UNHCR a relaté avec justesse les doutes exprimés par des acteurs étatiques quant à la légalité d'un tel organe décisionnel, si des organismes compétents peuvent intervenir pour aider les autorités à apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant, le cadre légal européen et national détermine toutefois que la décision de retour (ou de non-retour) est une question de migration relevant de la seule autorité compétente, en l'occurrence le Ministre de l'Immigration et de l'Asile.

Le Ministre tient encore à préciser qu'en janvier 2021, la Direction de l'immigration a obtenu à travers le réseau du European Migration Network des informations comparatives sur la façon dont est évalué l'intérêt supérieur des MNA dans les autres Etats membres de l'Union européenne dans le cadre d'une décision de retour. Il en résulte que, comme l'a d'ailleurs remarqué l'UNHCR en 2019, le Luxembourg n'a eu de cesse d'œuvrer dans l'intérêt des MNA et joue un rôle précurseur dans l'Union européenne. En effet, la majorité des Etats membres ne dispose pas d'un organe qui évalue l'intérêt supérieur de l'enfant dans le cadre d'une décision de retour.

Enfin et pour conclure, le Ministre relève que si le gouvernement réservait une suite favorable à la demande de la CCDH et de l'OKaJu d'inscrire dans le RGD des critères précis et objectifs pour l'évaluation de l'intérêt supérieur des MNA, le gouvernement restreindrait la portée de la notion fondamentale de l'intérêt supérieur de l'enfant, violant par là même les engagements internationaux du Luxembourg en matière de protection des droits des enfants.

Communiqué par: ministère des Affaires étrangères et européennes

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